Les deux journées de supervision et respiration holotropique du 08 juin et du 07 décembre 2023 se dérouleront en visioconférence.

Respiration Holotropique et Gestalt-thérapie

Je co-anime depuis 1997  des séminaires “Souffle et Thérapie”, organisés autour d’expériences de Respiration Holotropique. Je vais ici regarder l’expérience de Respiration Holotropique d’un point de vue gestaltiste. Car si je peux me dire Gestaltiste dans mon cabinet, dans l’animation des groupes continus, suis-je toujours  dans un positionnement gestaltiste quand j’anime ces séminaires “Souffle et Thérapie”? Pour la clarté du discours, je présenterai d’abord brièvement la Respiration Holotropique et son cadre, tels que je les pratique. Pour tout ce qui concerne la théorie proprement dite et la classification des expériences observées, je renvoie le lecteur à la bibliographie : S.Grof, P.Baudin, B.Blin, … Ensuite j’aborderai trois thèmes qui me paraissent essentiels dans la rencontre entre Gestalt-thérapie et Respiration Holotropique : la présence, la régression et le corps.

LA RESPIRATION HOLOTROPIQUE

La technique

La Respiration Holotropique est une des techniques du souffle, elle utilise l’hyperventilation, c’est-à-dire une respiration amplifiée et accélérée. L’hyperventilation, comme d’autres pratiques de souffle, est loin d’être nouvelle dans l’histoire humaine, de nombreuses pratiques traditionnelles l’ont proposée depuis sans doute des millénaires. On la trouve dans certaines voies chamaniques et dans des voies spirituelles, le soufisme,  le bouddhisme, le yoga. Le Pranayama par exemple est l’antique science indienne de la respiration. A partir du  milieu du vingtième siècle, dans le mouvement humaniste, sont apparues de nombreuses pratiques ou techniques thérapeutiques qui utilisent le souffle, chacune avec une spécificité précise, ainsi le Rebirth (ou Rebirthing) créé par Léonard Orr et la Respiration Holotropique de Stanislav Grof. La Gestalt-thérapie apparaît dans la même mouvance des nouvelles thérapies de l’époque.

La Respiration Holotropique a par rapport au Rebirth plusieurs particularités.  D’abord,  les  expériences sont très longues,  elles  durent  en moyenne trois à quatre heures. Ensuite c’est une technique qui se pratique toujours  en  groupe.  Enfin  la  façon  d’hyperventiler  est  tout à  fait  libre,  sans   technique  particulière  et   elle   sert   simplement  de   tremplin  pour ouvrir l’expérience,  contrairement  au   Rebirth  qui  met   l’accent  sur  le  souffle comme guide de toute l’expérience. Et cette hyperventilation est systématiquement soutenue par des musiques. Quatre phases musicales préparées spécialement et composées  de morceaux  spécifiques accompagnent le changement d’état de conscience qu’elle induit, puis soutiennent l’expérience jusqu’au bout. L’expérience se vit en général dans le cadre d’un week-end au moins et elle a lieu en duos. Une personne fait son expérience pendant que la deuxième l’accompagne et dans un deuxième temps, on échange les places. Celui qui « respirait » accompagne et l’autre « respire ».

Allongé sur un matelas (ou soutenu par des boudins si l’expérience a lieu dans l’eau ), les yeux fermés ou bandés s’il le souhaite, le respirant se détend, accompagné par l’induction du praticien. Puis, sans technique précise, il amplifie et accélère sa respiration toujours guidé par la voix du praticien. L’accompagnant est présent près de lui et le restera jusqu’au bout de l’expérience. Dès que l’induction est terminée, la musique commence. L’hyperventilation entraîne généralement des sensations corporelles assez rapidement à partir desquelles s’ouvrent des expériences qui  peuvent être très variées. Dans le cadre d’une même respiration, plusieurs types d’expériences peuvent être vécues  au vu de la longueur du “voyage”.

La technique demande d’accueillir ce qui émerge, quoi que ce soit. Images, sensations, émotions, mouvements, sons …. D’une expérience à l’autre, même chez la même personne, rien n’est prévisible. Ni le respirant, ni le praticien n’orientent volontairement l’expérience. A la demande du respirant, ou sur la proposition du praticien ou de l’accompagnant, une présence plus proche ou un travail sur le corps peuvent aider le respirant dans son processus. A la fin de l’expérience qui se prépare graduellement, et avant que de parler de son vécu, le respirant est invité à un exercice de dessin (le mandala), qui lui permet de représenter son “voyage” directement par les couleurs et les images. Enfin, un temps d’échange verbal  et de travail en groupe favorise l’intégration de  la “respiration”.

Le cadre

L’expérience de  Respiration Holotropique ne peut être séparée de son cadre, qui conditionne largement la qualité de ce  travail. Le cadre et  l’encadrement vont autoriser des expériences d’autant plus  profondes qu’ils seront perçus comme réellement protecteurs. Le cadre auquel  j’ai été formée par B.Blin et F.Lery, est beaucoup plus élaboré que ce que  propose Grof.

Ce   type   d’expériences   est  toujours   proposé   en   groupe   et  en séminaire   résidentiel.  Il   s’adresse,  de  préférence,    à  des  personnes  en processus  thérapeutique. Dans  le cas   contraire, un  entretien préalable  est nécessaire pour estimer le bien-fondé d’une expérience aussi puissante et un accompagnement postérieur sera demandé.

« Pour engager  cette dynamique de déstructuration (la thérapie), le processus a besoin d’être contenu dans un cadre très structuré, indispensable pour que puisse s’épanouir la fragilisation et la liberté d’ajuster créativement nos valeurs.” (Mendiburu 2003) Dans le séminaire lui-même, il s’agit d’apporter beaucoup de vigilance pour installer un cadre à la fois accueillant et contenant. Le cadre pratique consiste en l’installation d’un espace chaleureux dans un lieu de séminaire agréable et protégé où le groupe de travail sera seul. Le cadre thérapeutique explicite les règles de respect (de soi, de l’autre, de l’environnement, de son propre territoire) et de responsabilité ; les règles de sécurité : la confidentialité, le non-passage à l’acte (sexuel ou violent) ; la nécessité de ne pas quitter la salle pendant le travail. Un engagement est pris en commun pour respecter ces règles, ainsi que la règle du Stop. Le “Stop!” est la seule façon d’arrêter le déroulement de l’expérience, soit pour le client, soit pour le thérapeute, pour trouver une autre manière de continuer.

Le cadre interne du thérapeute est capital pour le processus thérapeutique et en particulier dans ces séminaires de Respiration Holotropique. Il est suffisamment construit si le thérapeute a lui-même exploré sa psyché, sa relation au monde, s’il a découvert et intégré de multiples facettes du vivant et s’il continue à le faire. “L’encadrement intersubjectif interactif que le thérapeute met en oeuvre est le produit d’une existence riche et consistante, imprégnée d’une sécurité intérieure et d’une formation métabolisée en profondeur. C’est cette structuration de sa vie intérieure qui fait de lui une personne de référence et qui valide son message thérapeutique.”(Mendiburu 2003)

LA PRESENCE

 J’observe la thérapeute que je suis dans l’animation des groupes et je me vois dans l’attention, dans “être là, avec”. Cette attention se tisse dans différentes directions ou différents espaces. Il y a une première attention globale à l’environnement.  Une attention au processus du groupe. Une attention à chaque personne. Et toutes s’ancrent dans une attention à moi-même : “Je ne peux pas écouter en toi. Je suis avec toi, mais j’écoute en moi.” (Moss 2004) Ces attentions, ou ces intentions d’attention, nourrissent une présence. Et la présence pour moi est intimement liée au développement de la conscience. Mais qu’est-ce que la conscience? La Gestalt parle de conscience, sous les deux formes essentielles de la consciousness et de l’awareness.  Je suis particulièrement sensible à ce fondement-là de la Gestalt et je rejoins Pierre Janin (2003) dans sa proposition du mot présence qui réunit en un seul terme les deux aspects compémentaires que sont l’awareness et la consciousness. C’est en fait d’une conscience-présence qu’il s’agit. S’appuyant sur les textes, P.Janin donne en effet les précisions suivantes : l’awareness n’est pas ”être conscient de”, mais  être présent dans un contact, c’est ce qu’il appelle présence engagée. La conscience est là implicite seulement, “immédiate et implicite”, selon Jean-Marie Robine (1998). C’est dans la consciousness qu’elle devient explicite, “la forme particulière de présence au champ qui est investie dans un constat de quelque chose de nouveau mais n’est pas engagée dans un contact…” (Janin 2003) P.Janin parle ici de présence attentive. J’emploierai ces deux termes pour la suite de l’article.

 Faciliter le contact

 Toute l’approche de la  Gestalt est assise sur ce que Serge Ginger appelle “l’art du contact” (Ginger 1987). Certains gestaltistes emploient le mot contact dans le seul sens de mouvement, échange, ajustement créateur entre l’organisme et son environnement, et non pas se produisant à l’intérieur de l’organisme. J’emploierai ici le mot contact dans un sens large – comme bien des collègues le font aussi – qui inclut donc les expériences internes. La Gestalt décrit le déroulement du contact à travers des cycles qui s’achèvent ou restent ouverts. Un cycle, c’est l’ensemble des étapes qui se succèdent en général quand nous entrons en contact avec une personne, une émotion, un besoin… Il y a différents modèles de cycles selon les auteurs gestaltistes. C’est le modèle de Serge Ginger (1987), à mes yeux simple et complet, qui me convient le mieux : pré-contact, engagement, contact (ou plein contact), désengagement, assimilation.

Tout au long d’un séminaire “Souffle et thérapie”, je me vois beaucoup comme facilitateur. C’est d’ailleurs le nom que S.Grof donne aux praticiens de Respiration Holotropique. Mais faciliter quoi? Par mon autorité (de thérapeute), qui autorise le contact, faciliter l’expérience et faciliter les cycles. Mon attention est en partie tournée vers le groupe, vers le déroulement du cycle que suit l’ensemble du séminaire pour le groupe. Je ne détaillerai pas ce point qui concerne tout travail en groupe, mais ma présence dans ce sens est importante.

Ma présence, engagée ou attentive, va aussi faciliter, c’est mon intention, le contact de chaque personne avec son expérience, avec ce qui émerge pour elle. Je suis d’abord attentive à toutes les étapes de ce cycle que suit l’ensemble du séminaire pour chacun :

– l’accueil, la préparation corporelle, l’induction pour le pré-contact

– l’induction à la respiration pour l’engagement dans l’expérience

– tout au long de l’expérience, j’ai à faciliter l’awareness pour chacun, “une présence souple et fluide dans un contact réussi” (Janin 2003), je regarde si chaque personne est dans le plein contact avec ce qu’elle vit, dans son corps, et éventuellement j’interviens.

– la phase de désengagement est délicate, dans la nécessité de respect du rythme de la personne à quitter l’expérience.

– l’intégration (dessin, peinture ou terre, … et partage) a enfin une place privilégiée dans le stage pour terminer le cycle.

Je cherche donc à faciliter le bon déroulement de cycle pour chaque personne. Quand une personne reste, à la fin d’un stage dans un sentiment d’inachevé, ou de “raté” même, c’est à moi thérapeute de reprendre le travail avec la personne dans le groupe pour l’aider à terminer ce cycle.

Anne-Sophie ne demande rien dans son expérience et son attitude corporelle n’appelle aucune intervention. Je ne vais donc la voir qu’à la fin de la “respiration”. Elle se montre agressive avec moi, me reproche de ne pas m’occuper d’elle, de passer toujours la dernière, de préférer les autres. Elle restera en colère jusqu’à la fin de l’intégration en groupe où je l’interpellerai et où elle pourra retrouver toute sa colère de fille ainée et le manque d’attention de la part de sa mère. Elle pourra là exprimer et satisfaire son besoin de tendresse.

Pendant le cycle de l’expérience elle-même, j’observe chez la plupart des personnes de nombreuses étapes qui sont autant de cycles de contact. Le client peut être  tour à tour en contact avec de multiples sensations, émotions, besoins. S’il accompagne ces émergences, s’il est en contact, je reconnais sa propre awareness, sa propre présence engagée, cette connaissance immédiate et implicite du champ selon J.M.Robine (1998) et l’ajustement créateur qui en découle.

Dorothée dès le début de l’expérience se retourne et pleure bruyamment assez longuement . Elle traverse ensuite une période calme, où elle s’est assise comme si elle observait quelque chose. Ses yeux sont fermés mais  les mouvements de sa tête indiquent une activité intense du regard. Puis ses mains font des gestes précis pendant longtemps. Ensuite elle semble explorer son corps par le toucher, puis le mouvement jusqu’à se mettre debout. Elle danse doucement, les larmes coulent sur ses joues et finalement se prend dans ses bras et se recouche un sourire aux lèvres. Elle parlera de retrouvailles avec son corps et avec elle-même.

Dorothée  ressent une émotion, au sens large, (de motio en latin qui signifie “action de mouvoir,  mouvement”) son corps l’exprime par le geste, par les larmes, elle est dans  un contact réussi. A chaque instant, elle s’adapte de manière fluide à ce que lui présente l’expérience. C’est bien la présence souple et fluide dont parle P.Janin à propos de l’awareness. Elle vit les cycles de contact, les achève, elle est présente dans son corps et ses émotions. Je suis là témoin de la présence de cette personne à son expérience. Une présence attentive est nécessaire, intervenir, m’engager dans une interaction, serait inadéquat.

En Gestalt, nous ouvrons au contact avec le corps, le mouvement et le ressenti, et avec l’émotion. L’imaginaire, la créativité sont valorisées plutôt que l’analyse et  l’explication, c’est-à-dire le cerveau droit plutôt que le cerveau gauche. Comme  d’autres approches thérapeutiques, la Respiration Holotropique, par la technique elle-même, privilégie aussi le cerveau droit et met en veilleuse le cerveau gauche. Certaines personnes redoutent de perdre le contrôle et la rationalité et il s’agit en effet de laisser le corps, dans son émotion, diriger l’expérience. La puissance de la Respiration Holotropique est d’ailleurs particulièrement utile pour ces personnes.

Présence et résistances

 Dans le travail thérapeutique, nous sommes confrontés aux résistances du client : résistances au travail thérapeutique et mécanismes de défense. Les mécanismes de défense sont des réponses au besoin de protection.  Ils peuvent s’être élaborés très précocement. Ils ont été utiles dans un passé difficile mais sont souvent devenus caducs, empêchant l’ajustement créatif à l’environnement par leur côté automatique. Parfois ils sont plus toxiques que la souffrance  dont ils sont censés protéger. En même temps, ils sont le fruit de la création singulière de la personne. La Gestalt considère toutes les formes de résistances comme “des expressions créatives de vitalité” (Perls 1978) Et pourtant ce sont elles qui empêchent le bon déroulement du cycle du contact. Les obstacles et les freins font partie de l’expérience, ils sont bienvenus et riches d’enseignements, mais pour en tirer parti, ils me demandent  une autre présence, ou une présence plus engagée. Je deviens facilitateur engagé.

Charlotte respire profondément mais régulièrement elle ouvre les yeux et me cherche du regard. Je vais la voir, elle me dit sa peur. Je m’assois près d’elle et une main sur son épaule, je reste là immobile jusqu’à ce qu’elle puisse vraiment entrer en contact avec la suite de son expérience. Si le cadre installé pour l’expérience est censé mettre en sécurité les clients, pour Charlotte il manquait, elle le reconnaîtra plus tard une mère près d’elle, mère qu’elle n’a jamais sentie attentive. Que j’aie pu répondre à son besoin sans qu’elle l’exprime l’a rassurée et ma main sur son épaule lui a permis de lâcher ce contrôle. 

Parfois le contact avec l’expérience est difficile et je reste pourtant dans une présence attentive, et interrogative cette fois. Que se passe-t-il? Comment aider à remettre en mouvement le déroulement du cycle? Je cherche à sentir, à comprendre, à expliciter cette situation, mon corps n’a aucun élan pour s’engager. Je reviens naturellement, simplement à une conscience explicite. Et c’est là que j’apprends, la question me demande d’approfondir mon ressenti, le contact avec moi-même, d’ouvrir mon esprit, de trouver de nouvelles réponses, celles que j’ai  données jusqu’à aujourd’hui ne sont plus adéquates. J’ai à trouver du nouveau.

Sylvain passe la plus grande partie de son expérience dans la douleur corporelle, il demande de nombreuses interventions pour être aidé “à défaire des tensions, à faire circuler son énergie”. Il veut du muscle, de la force, de la décharge. Près de la fin de l’expérience, je vais le voir, il est toujours insatisfait. Après quelques phrases d’échange, où je lui dis combien je suis touchée de le voir faire tant d’efforts, il réalise combien il est dur avec lui et que, s’il ne s’est jamais senti accueilli comme enfant, il ne s’accueille pas non plus lui-même. Je lui propose d’accueillir le petit Sylvain et vais lui chercher, avec son accord, un poupon que je lui pose sur le ventre. Il va passer le reste de l’expérience à le caresser et lui parler en pleurant. L’expérience signera le début d’une réconciliation intérieure et d’une confiance qu’il cherchait dans la force et qui était pour l’instant dans l’amour. J’ai passé beaucoup de temps à observer Sylvain, dans une présence interrogative, cherchant la façon de l’approcher. 

Les résistances se manifestent psychiquement, émotionnellement et corporellement. La Respiration Holotropique est particulièrement concernée par l’inscription corporelle et je reviendrai sur ce point plus loin.

Présence et expériences du thérapeute

 D’où vient ma présence de thérapeute? Dans l’animation, je garde le contact avec moi, avec tout ce qui se présente, pensées, émotions, mouvements, gestes, et tout ça est nourri par ce que je suis.  Oui je travaille avec ce que je suis. “Le thérapeute travaille avec ce qu’il “est” plus qu’avec ce qu’il “sait”, dans son propre style, intégrant son expérience personnelle et professionnelle antérieure et faisant confiance à sa propre sensibilité et à sa créativité spécifiques” (Ginger 2003). J’ai reçu un enseignement de présence dans le corps, depuis plus de vingt ans, (Taiji Quan, et autres pratiques, enseignement de Richard Moss) et de présence dans la relation thérapeutique dans mes formations à la Respiration Holotropique et à la Gestalt-Thérapie.  Et je sens combien toutes mes expériences de vie, mes propres explorations intérieures et les centaines d’accompagnement nourrissent aussi cette présence.  J’ai expérimenté et je connais : la joie, le rire, le désir, le plaisir, le désespoir, la souffrance, la tristesse, la solitude, la passion, le ventre d’une mère, des naissances, des accouchements,  le vide et le manque, le coeur qui s’ouvre et qui se ferme, l’énergie dans mon corps, être lionne, aigle, fleur, arbre, falaise, cellule,… Ce que je ne connais pas, je suis d’accord pour le découvrir avec la personne que j’accompagne dans la confiance, sans jugement sur l’existence ou la non-existence de ce qu’elle croit. Et dans la détente, qui n’est possible qu’avec une confiance suffisante dans la technique et le cadre, dans l’être humain et en moi-même.

Sur son matelas, le masque sur les yeux, Marie est terrorisée, elle grelotte de peur, m’appelle. Elle est “dans le monde des morts et doit parler à son père qui est là-bas. » Je lui prends la main et nous marchons dans ce monde à la recherche de son père, à travers « les squelettes, la nuit, les morts qui veulent l’attraper.” Elle finit par trouver son « père », représenté par l’homme qui l’accompagnait dans l’expérience, et peut lui dire tout ce qui lui pesait depuis si longtemps… Et le quitter dans les larmes et une nouvelle paix. Dans mon ressenti, j’ai vraiment fait un voyage dans la mort, il est inscrit dans mon corps. 

J’habite mon corps et je me laisse “être”, avec tout ce qui est ou se présente là. Parfois je reste dans l’immobilité, dans une présence attentive, ou interrogative. Cela peut-être par impuissance momentanée ou hésitation, ou par choix. J’ai cité l’exemple de Sylvain, voici un autre cas où j’ai été surtout dans la présence attentive.

Dominique ne bouge pas du tout pendant les trois heures de l’expérience. Je m’assure par deux fois qu’il n’a besoin de rien et ne me sens pas de faire plus. Il racontera après qu’il était dans un sarcophage, mort, et que si quelqu’un l’avait touché, il serait tombé en poussière.  Il remercia beaucoup d’avoir eu quelqu’un là patient et présent mais distant. Car il dit avoir réussi ainsi à retrouver tout au fond de lui une étincelle de vie. 

L’importance de la présence patiemment attentive est soulignée par Bernadette Blin (2001) : “Il ne faut pas confondre l’expression naturelle de l’émotion avec une sorte de culte de la catharsis qui peut facilement  devenir une manifestation hystérique qui ne ferait que flatter l’ego d’un thérapeute insuffisamment formé et qu’entretenir l’illusion chez un patient cherchant à faire plaisir à son thérapeute ou à s’autosatisfaire. Il est très intéressant de constater que dans certains cas, où le processus d’une personne se vit d’une manière très intériorisée, sans qu’on puisse identifier de l’extérieur ce qui se passe pour elle, elle va ensuite lors de l’intégration témoigner d’un vécu sensoriel ou émotionnel très riche et très significatif pour elle, d’une réelle pertinence dans son chemin thérapeutique. ”(2001)

Parfois j’agis, sans réflexion,  mon corps, mes gestes, mes mots s’expriment, c’est une présence engagée, avec l’ajustement créateur qu’elle déclenche. “Ma réponse aux changements de champ se fait d’elle-même, je suis présent(e) de manière engagée et active à chaque fluctuation de la situation, il n’y a pas de blocages dans l’enchaînement des ajustements créateurs.” (Janin 2003). Ce mouvement naturel de la présence me fait passer d’une présence au champ, c’est-à-dire attentive à l’ensemble d’une situation, à une présence dans le champ, c’est-à-dire engagée dans la situation par une proposition de contact, puis le mouvement s’inverse et me fait revenir à la présence attentive, et ainsi de suite.

Patrick est un homme très mental qui se dit coupé des autres, sans émotion. Il est immobile dans son expérience depuis une heure et demie. Je vais lui demander à l’oreille comment il va, s’il a besoin de quelque chose. Tout va bien, je n’ai besoin de rien, dit-il. J’observe sa respiration très peu sensible dans sa poitrine. Une demie heure plus tard,  je mets doucement ma main sur sa poitrine, il bouge très légèrement, puis doucement son corps va se mettre en mouvement jusqu’à ce qu’il vive une naissance. Dans son ressenti, il était gladiateur, dans sa cuirasse avec son casque, bien protégé mais enfermé.  Comme beaucoup d’autres, cette expérience m’a demandé de décliner les différentes formes de présence. 

Parfois je reste dans l’impuissance, rien ne me vient ou je me trompe.

Christine vient pour la première fois “respirer”. Elle reste très seule dans le groupe et se montre facilement agressive. Dans son expérience, elle mobilise son corps assez vite, se plaint plusieurs fois à son accompagnante ou à moi, du volume de la musique et du choix des musiques. Finalement elle s’immobilise dans une apparente tristesse. Je l’observe assez longuement puis m’approche d’elle. Elle me demande de nombreuses interventions corporelles, massages… Les larmes commencent à couler. Je reste près d’elle sans bouger puis lui donne un petit baiser sur le front. Ce geste va la choquer, “je ne suis pas une enfant” et la mettre très en colère pour le reste du séminaire. 

Ce geste était de trop, je croyais voir l’enfant triste chez Christine et sans doute était-elle là, mais j’étais aveugle sur sa capacité à l’accepter. Je n’ai pas respecté son rythme et j’apprends la  prudence. La présence n’est jamais acquise, elle se crée à chaque instant.

L’autre et le nous

La relation thérapeutique en Gestalt est un creuset dans lequel le lien du client avec la vie peut se transformer. L’expérience de Respiration Holotropique met rarement en figure la relation du client avec la personne du thérapeute, puisque la technique privilégie l’intra-psychique du client, qui est un des pôles du champ. S.Grof conseille même le moins d’interactions possible, il a une confiance absolue dans le processus de la personne et intervient très peu et souvent en fin d’expérience seulement. Il fait par contre toute confiance à la Gestalt-Thérapie pour l’intégration de l’expérience. Cette façon de travailler, que j’ai expérimentée en tant que stagiaire et assistante, est tout à fait riche. La mienne, comme celles de mes formateurs en France et de par ma personnalité, est  différente, plus engagée dans la relation.

Dans ces deux façons de travailler, le thérapeute est, comme je l’ai montré, d’abord un facilitateur, il est souvent un témoin, un tiers, moins souvent un partenaire. Dans la majorité des cas, ce n’est donc pas la personne du thérapeute qui est demandée. Cette relation reste cependant porteuse de neuf.

Nadine est influençable. Elle a du mal à s’affirmer et à se faire respecter. Dans une expérience de respiration, elle se transforme en lionne ou tigresse, très nettement. Elle montre timidement ses griffes et ses crocs mais a du mal à trouver sa force. Je deviens animal aussi et commence à rugir en empiétant ostensiblement sur son territoire. Nadine commence par reculer puis trouve peu à peu sa voix et rugit de plus en plus fort, elle devient puissante et finit par s’imposer. Si j’approchais plus, il me semble qu’elle me tuerait.

Je peux ainsi être l’”autre” de mon client pour faciliter son contact avec l’expérience et pour enrichir cette expérience grâce à la relation, grâce à ce qui peut se passer entre lui et moi,  que je sois un “autre” lion, enfant, parent, soeur, mur ou n’importe qui ou quoi d’autre.

En tant qu’”autre”, je peux me positionner dans une relation plutôt “verticale” ou plutôt “horizontale” (Janin 2004). Une relation plutôt verticale sera par exemple celle qui va faire respecter le cadre.

Mona réussit dans son expérience – et ce n’est pas la première fois – à se faire accompagner par son partenaire en dehors de son matelas (son territoire) et à s’accorder des privilèges en dehors du cadre. Je sens la colère me monter et je demande à son partenaire et à une autre personne de la ramener immédiatement sur son matelas. Cela la met dans une colère noire contre moi qui va lui faire retrouver sa colère contre sa mère et son refus de toute limite. 

Je peux aussi être l’autre d’une relation “horizontale”, plus fraternelle ou solidaire,  par exemple.

Andrée fait appel à moi. Je la trouve debout sur un matelas qu’elle essaie difficilement de maintenir rassemblé. Elle me parle de “la valise vide qu’elle a toujours portée sur son dos”. Elle a pu “la descendre du dos, l’ouvrir, découvrir qu’elle était vide et l’écraser”. Mais elle a “très peur qu’elle lui saute à nouveau dessus”. Après quelques phrases échangées,  je lui propose de la jeter. Elle demande mon aide et nous réussissons ensemble à la (représentée par le matelas) jeter loin. 

La relation thérapeutique en Respiration Holotropique nourrit le client et nourrit aussi le thérapeute. Chaque fois que j’accompagne une expérience, je la vis aussi dans mon rôle, à ma façon.  J’ai la chance de pouvoir “être avec” des personnes dans tous les espaces de l’humain et j’en ressors chaque fois enrichie dans mon intimité avec l’autre, avec moi-même et dans mon humanité. La relation est bien ici un lieu de fertilité réciproque, l’occasion de ces nombreux moments de mode moyen qui sont autant de « nous » de qualité. (Janin 2004) C’est-à-dire de nombreux contacts réussis où chacun à sa manière, client et thérapeute, échange avec l’autre de la nourriture et du sens.

La relation avec le groupe a aussi sa place dans ces expériences. Les interactions sont permanentes dans le travail. La moitié du groupe “respire” pendant que l’autre moitié accompagne, il y a donc bien sûr dans chaque duo des contacts privilégiés entre accompagnant et respirant. Mais des contacts ont lieu aussi entre les respirants. Même s’ils ne peuvent se voir, ni se toucher, ayant chacun leur territoire, ils se répondent parfois. Les cris d’une personne dans la salle peuvent prendre un sens pour  la personne qui respire.  Devenir les cris de sa mère, ou représenter la souffrance des femmes, … Je ne parle là que des interactions les plus évidentes mais beaucoup de liens plus subtils semblent se tisser. Ainsi ces deux personnes face à face de chaque côté de la salle pour leur expérience, un masque sur les yeux, qui pendant longtemps firent les mêmes gestes ensemble comme “branchées” sur la même source…

La Respiration Holotropique est bien une technique qui sollicite la présence : à soi-même chez le client, à soi-même et à l’autre chez le thérapeute. Ce thème de la présence, liée à la conscience, inclut les deux thèmes suivants que sont la régression et le corps : quelle présence pour le client et le thérapeute dans le cas de régression? Et quelle présence du corps, au corps?

LA REGRESSION

En Gestalt-Thérapie, nous sommes attentifs d’abord à l’ici et maintenant où tout est accueilli, et s’il y a régression spontanée, elle sera accompagnée. Parfois le thérapeute Gestaltiste encourage lui-même la régression en s’adressant par exemple en parent à l’enfant qu’il entend chez le client. Mais la technique de la Respiration Holotropique, par l’hyperventilation, provoque volontairement un changement d’état, qui prédispose à ce qu’on appelle des régressions,  même si l’ensemble du séminaire aménage d’autres temps de travail. Or ce mot de régression est souvent ressenti dans un sens négatif : régresser, c’est laisser le passé envahir à tort le présent. Alors, est-il possible de porter un regard gestaltiste bienveillant sur la régression?

Ingression et actualisation

En fait, le mot de régression n’est pas adéquat. Dans une expérience de respiration, il s’agit avant tout  de plonger à l’intérieur de soi sans savoir ce qui va arriver, sans projeter une attente particulière. C’est une invitation au lâcher-prise dans un mouvement vers l’intérieur. Ce serait plus juste alors de parler d’ingression comme  Gilles Delisle que cite Grosjean (2002).  La personne descend à l’intérieur d’elle, et peut rencontrer tout ce qui est de l’ordre du vivant, dans le présent, le passé, le futur, ou même dans l’ailleurs. Elle s’identifie à une des facettes du vivant, par exemple à la femme trompée, ou au bébé heureux mais peut-être à son grand-père ou une personne inconnue, à un animal ou un arbre, à la terre-mère, etc… Comme la Gestalt donc la Respiration Holotropique accueille et consent à l’identification du client avec ce qui est là dans l’instant. Ce qui vient est inattendu et imprévisible, il sera comme en Gestalt accompagné. J’ai moi-même vécu plusieurs séances de Gestalt comme cliente, où j’ai vraiment ingressé. J’y ai été merveilleusement accompagnée.

Il est vrai que souvent ces ingressions ramènent des situations du passé. (Elles ne représentent certes pas la totalité des expériences) Mais même là  le vocable de régression n’est pas adéquat. Que la personne soit dans un chagrin d’aujourd’hui par exemple, ou “comme jadis” dans le ventre de sa mère, elle est ici, maintenant, et l’émotion qu’elle vit est réelle dans son corps d’aujourd’hui. Et mon corps, mes gestes, ma présence de thérapeute sont là aussi dans le présent, évidemment. Ce qui se manifeste est l’expression d’un vivant présent, agissant aujourd’hui pour cette personne. Son vécu est ressenti dans le corps, éprouvé profondément dans le coeur, ou éclairé si fort dans l’esprit !

La régression désigne généralement un retour à un passé douloureux, elle est facilement associée à une catharsis d’émotions fortes. Du coup elle est rarement évoquée dans son aspect nourrissant et venant vitaliser l’adulte, comme dans certaines expériences qui sont de véritables retrouvailles avec l’enfant innocent, spontané, ouvert, par exemple. Elles donnent accès à de nouvelles ressources et peuvent  revitaliser la créativité.

Bruno passe la presque totalité de l’expérience bras et jambes en l’air, comme un bébé, riant, jouant avec ses mains et sa bouche. L’expérience le ravit encore des années plus tard, comme les retrouvailles avec une partie de lui ignorée ou inconnue, comme un trésor intérieur dit-il. Ce bébé fait partie de lui aujourd’hui.

Non seulement Bruno a cinquante ans mais il a aussi six mois. Et aussi deux, dix, vingt ans… Dans l’expérience de Respiration Holotropique, tout est là potentiellement dans un même temps. “Implicite de la théorie première de la Gestalt-Thérapie est l’idée que le développement de la personne n’est pas seulement une succession mais une simultanéité. Etre adulte n’est pas une succession à l’enfance mais un plus à l’enfance. Ceci a pour corollaire que dans l’instant, passé, présent et projet sont constitutifs de la présence et de l’expérience.” (Robine 2002)

 A la lumière de l’exemple précédent, et en plus du concept d’ingression, j’aime l’idée d’actualisation qui rend compte, pour moi, à la fois du mouvement et du présent. Et si c’est bien souvent l’archaïque qui se présente, c’est simplement que lui non plus n’appartient pas au passé. Même s’il existe depuis longtemps, il dévoile la percée de quelque chose d’actuel.

Roger pleure depuis une heure dans son expérience quand il m’appelle pour me demander de le prendre dans les bras et de lui dire de temps en temps “mon ange” comme lui disait sa mère. L’expérience amorcera le changement dans la dépression dont il souffre alors. 

En somme dans ce genre d’expérience, l’archaïque n’est plus seulement archaïque, “il est forme, gestalt, intersubjectivé, appartenant définitivement à l’entre… L’archaïque est toujours là, comme donnée immédiate de l’expérience, dans son sens phénoménologique. Il nourrit les tissus, il stimule nos divers niveaux d’expérience et d’intégration, ceux de la vitalité (l’énergétique), de la sensorialité,  de la tonicité musculaire, de l’émotionnel et de la pensée… Il est là dans le présent dans le moindre geste ou la moindre pensée car il les irrigue… S’en priver revient à appauvrir son Soi, le désaffecter, le fonctionnariser, le rendre orphelin.” (Tonella 2002)

Achever des Gestalts

Une des principales richesses de ces expériences est l’opportunité d’achever des Gestalts, de clore des situations restées en suspens, ouvertes ou bloquées. S’il y a  une apparence de retour à un passé douloureux, dans la pratique, il n’émerge pas  pour se revivre à l’identique. L’évènement – ou la situation – va en réalité se vivre au présent et pour la première fois totalement. La personne va pouvoir exprimer ce qui n’a pas été vécu lors du traumatisme initial où souvent une partie de la conscience s’était comme débranchée. Cette décharge permettra de libérer les tensions accumulées au fil des années. Et “ce n’est pas l’image passée qui a provoqué la décharge de l’affect, mais la relaxation de l’inhibition présente.” (Perls, Hefferline, Goodman 1977, cité par Marc 2002).

Anne-Laure retrouve un souvenir de toute petite fille. Sa mère vient de rentrer de la maternité avec sa petite soeur, elle a une robe de chambre rose et porte le bébé. Le souvenir n’était qu’une image, et Anne-Laure vit la situation maintenant avec tous ses sens. Les bruits, les odeurs, le contact de la robe de chambre. Et puis l’émotion trouve sa place. Le chagrin, la tristesse, le manque et le besoin de sa mère peuvent s’exprimer. 

Le processus peut aussi s’ouvrir sur une expérience nouvelle. Moi thérapeute, je peux être présente, sans doute pas là où il a manqué quelqu’un dans le passé, mais certainement là où il manque quelqu’un maintenant. Et si une forme ou une autre de plein contact se révèle possible entre nous deux, la personne va expérimenter une situation nouvelle. C’est l’expérimentation de la Gestalt-Thérapie. Nourri de cette expérimentation, (et elle devra peut-être la vivre à plusieurs reprises) la personne va pouvoir assimiler le neuf et la position interne ne sera plus répétée, c’est l’assimilation. L’ingression offre la chance d’achever une Gestalt. L’actualisation d’un archaïque est le nécessaire contact avec un relatif état d’indifférenciation où il va être possible de trouver aujourd’hui quelque chose qui va permettre de grandir. Michael Balint (1972)  parlait de “l’amour primaire” à recontacter ou à trouver en réponse au “défaut fondamental”. L’amour primaire sur lequel il serait ensuite possible de s’appuyer pour grandir. C’est une manière de réparer le lien perdu et d’intérioriser ce lien.

Une fois l’émotion exprimée, je pourrai accueillir Anne-Laure dans mes bras, la bercer, lui  caresser le front, elle retrouvera le sourire en me caressant le visage à son tour et en parlant à sa “maman” qui l’écoute. 

Il me semble avoir montré les apports possibles de ces expériences.  Pour moi, l’ingressionrégression a tout à fait sa place comme outil essentiel dans un chemin thérapeutique gestaltiste. Pourtant certains thérapeutes craignent vraiment les techniques qui provoquent des régressions. Je me sens personnellement en sécurité dans ce travail. Cette sécurité repose sur trois pieds.  D’abord mon intentionnalité  de thérapeute est dès le départ la croissance. J’installe là un sur-ordre et c’est essentiel. Ensuite j’ai la confiance qui m’a été enseignée et que ma pratique a confortée, que la personne ne rencontre que ce qu’elle est prête à gérer. Enfin, même si j’en connais douloureusement la profondeur, je n’ai plus peur de mes blessures archaïques et de mon manque premier. J’en expérimente même la fertilité, c’est pourquoi je suis heureuse de l’accueillir chez d’autres s’ils se manifestent.

 “Encore faut-il que le thérapeute n’ait pas peur de son propre archaïque ou ne soit pas prisonnier de modèles qui anesthésient, dévitalisent ou dévalorisent ces mouvements de l’archaïque parce qu’il les ressent comme menaçants ou parce qu’il les perçoit théoriquement comme non souhaitables, l’inconscient ou la théorie dissimulant la difficulté à les accueillir, à les prendre en compte…” (Tonella, 2002)

LE CORPS

La place du corps

La question de la régression est intimement liée à un troisième thème fondamental dans cette rencontre Gestalt-Thérapie et Respiration Holotropique : la place du corps. Cette place du corps a pour moi la première importance. Mon chemin intérieur et thérapeutique personnel trouve ses origines dans le travail du corps. Avec la danse et le théâtre, j’ai découvert très jeune le Taiji-Quan, et ce fut mon entrée sur un chemin où il s’agissait de passer pour moi d’avoir un corps-outil  à découvrir le corps, puis à habiter le corps. Enfin le corps est devenu pour moi un lieu essentiel de conscience. Je me suis intéressée, formée, aux techniques de détente et de conscience corporelle et très logiquement, dans mon processus thérapeutique aux thérapies corporelles. J’ai expérimenté pour moi-même, combien le temps passé à travailler le mouvement, à détendre les articulations, a aussi fluidifié ma relation avec les autres et avec la vie, même s’il ne m’a pas dispensée d’un travail en thérapie. Au contraire, il m’en a montré le chemin. Le corps et la relation sont pour moi aujourd’hui les deux portes de la conscience.

La Gestalt  accorde une place privilégiée au vécu corporel, et du client (que ressens-tu en ce moment?), et du thérapeute qui reste en contact avec ce qu’il sent.. Le thérapeute observe aussi les manifestations corporelles de son client. Le corps peut être parfois mobilisé, même s’il n’y a pas d’obligation dans ce sens. Le thérapeute peut ainsi proposer au client de se lever et marcher, il peut lui demander de répéter ou d’amplifier un geste,… Il encourage alors l’expression du corps, les émotions. Il y a ainsi la possibilité de passer du corps à la parole et de la parole au corps. Enfin le corps a sa place dans la relation, puisque les contacts physiques entre thérapeute et client, ou entre stagiaires d’un même groupe, sont bienvenus s’ils sont au service du processus thérapeutique.

Pour la Respiration Holotropique, le corps est bien plus qu’un lieu possible de travail : il est le lieu essentiel de l’expérience. C’est le support, la porte et le guide de l’expérience. Toute la préparation et l’induction à l’expérience concernent le corps. C’est dans le corps, et les émotions qui s’y révèlent, que se manifestent les effets de l’hyperventilation qui indiquent le début de l’expérience. Et tout au long de celle-ci, c’est au corps qu’il s’agit de revenir régulièrement, comme étant l’appui, le guide du “voyage”. Faire une expérience de Respiration Holotropique c’est plonger à l’intérieur de soi, oui, mais dans le corps et avec le corps. Je crois que dans le corps, jusque dans la cellule, habite l’entièreté de l’être humain, sa singularité, son histoire et ce qui le relie à l’humanité et au Vivant.  Je crois aussi qu’il y a un mouvement naturel du corps ou de l’être qui pousse dans le sens de la libération. “L’organisme serait pris dans un compromis névrotique d’équilibre instable, très coûteux en énergie, entre la poussée de cette libération et les défenses et les contre-investissements. Le thérapeute par sa puissance protectrice et permissive, peut ainsi faire penche le balance vers la décharge libératrice.” (Grosjean 2002)

 Le travail corporel

 Le travail corporel en Respiration Holotropique en devient capital. C’est dans l’intervention corporelle que s’impliquera le thérapeute la plupart du temps. L’intention la plus fréquente est l’amplification  de ce qui émerge. Accompagner par  le toucher un mouvement énergétique chez la personne. Suivre une tension qui se déplace. Masser une zone qui “appelle”. Simplement poser la main sur une partie du corps… La seule technique véritable est un type particulier de travail corporel. Il s’agit d’offrir à la personne une contre-force, qui lui permet de trouver sa propre force, soit par pression sur une zone particulière, soit en contenant une partie de son corps.

Jacqueline a revécu une naissance puis refusé tout contact avec quiconque en me rejetant ainsi que son accompagnant.  Quelque temps plus tard, je m’approche d’elle qui se plaint allongée sur son matelas. Elle me parle de sa douleur au plexus. Je lui propose un travail corporel et j’appuie sur son plexus chaque fois qu’elle expire en répondant simplement à la mesure de sa poussée à elle. Je lui offre ainsi l’appui pour sentir et  rassembler son énergie dans cette zone. Elle pousse et crie de plus en plus fort jusqu’à trouver la force de commencer à se lever puis à se redresser totalement dans un cri très profond. Elle met alors ses bras autour de mon cou et se laisse aller à être câlinée, elle qui le refusait depuis si longtemps.

Nous retrouvons là la dimension corporelle des résistances, mécanismes de défenses et réserves d’énergie, d’agressivité, de vitalité à retrouver pour la personne. “En transformant la résistance en action, le patient retrouve le mouvement que la résistance “contient”  dans le double sens qu’elle le porte en elle tout en l’empêchant de s’exprimer. Cette mutation fait passer le patient d’une attitude passive, où la résistance est subie dans l’inconscience, à une attitude active où la résistance est transformée en une action consciente que le Moi peut s’approprier. Elle mobilise et déplace l’énergie investie dans la défense au service de l’activité positive.”(Marc 2002)

L’autre dimension du travail corporel est l’emploi du contact physique de soutien, il constitue un outil très puissant et très efficace. Nous l’avons vu dans des exemples précédents. Le contact avec l’archaïque, “nécessite le regard vivant du thérapeute, ses mains, son corps entier parfois, pour assurer ce que Winicott appelait le holding, handing et object presenting, tout ce qui donne soutien, support, vitalité et lien au patient, lorsque la force sans forme émerge de lui.” (Tonella 2002)

Depuis très longtemps, Eric est complètement immobile, figé. Je remarque de minuscules mouvements de ses lèvres. Doucement je caresse autour de sa bouche qui s’anime. Le plaisir et la douleur se relaient sur son visage. Lentement je reprends mes caresses jusqu’à ce que sa bouche de plus en plus mobile me tête le doigt. Je m’approche et il s’approche aussi, je peux le prendre dans mes bras, il s’abandonne, “tête” un moment puis s’endort un sourire aux lèvres.

UN CONTACT REUSSI

La Respiration Holotropique et la Gestalt-Thérapie parlent de présence et de conscience, chacune à leur manière mais sur un même chemin. Comparée à la pratique gestaltiste la plus courante, la Respiration Holotropique provoque systématiquement des ingressions qui permettent de vraiment donner la place au corps et à l’être-dans-son-corps, sans autre induction ou intention  que celle d’aller voir à l’intérieur ce qui vit et qui veut bien se manifester ici et maintenant. La place du corps devient donc primordiale. Dans mon expérience, quand la Gestalt-Thérapie et la Respiration Holotropique se rencontrent, le contact est un contact réussi. La Gestalt est sans doute l’approche thérapeutique la plus multidisciplinaire, elle cultive un esprit d’ouverture à l’ici et maintenant, et la Respiration Holotropique y devient un outil unique pour l’enrichissement du chemin des clients et des thérapeutes. La Respiration Holotropique est une technique de conscience puissante et la Gestalt lui offre un positionnement adéquat et créatif, pour des expériences multiples, parfois extraordinaires, et  la simplicité de l’être là, avec.

J’ai volontairement ignoré ici toutes les expériences spirituelles, qui font partie de ce que S.Grof appelle expériences transpersonnelles. Ces expériences sont accueillies et accompagnées comme les autres. “D’un côté elles apparaissent sur le même continuum expérientiel que les expériences biographiques et périnatales, et proviendraient ainsi de l’intérieur même du psychisme. Mais d’un autre côté, elles semblent également profiter, sans l’intermédiaire de nos cinq sens, de sources d’information se trouvant clairement au-delà des possibilités habituelles et connues de chaque individu.” (Grof 2000) Là encore la personne du thérapeute et ses propres expériences seront garants d’une présence juste, simple, sans jugement.

Ces expériences feraient le sujet d’un autre article, qui ouvrirait sans doute sur la spécificité et la richesse des thérapies transpersonnelles. Chaque chapitre pourrait être approfondi  et  bien d’autres idées de thèmes, de curiosités et d’explorations ont surgi pour moi  au long de ces pages.

 BIBLIOGRAPHIE

 BALINT Michael  (1972),  Les voies de la régression, Editions Payot, 1972.

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ROBINE Jean-Marie (2002), Quelques résonances au concept de régression, in Revue Gestalt,  n°23, automne 2002, S.F.G., Paris, p.13-19.

TONELLA Guy (2002), Théorie clinique de la régression, in Revue Gestalt n°23, décembre 2002, S.F.G., Paris, p.85-94.

Brigitte CHAVAS

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